Ne serait-il pas temps ?
Serions-nous enfin arrivés à ce moment de bascule ? Ce moment où l’écologie politique est devenue une option crédible en soi et non plus comme une variable d’ajustement ? Pour la première fois, les écologistes sont en mesure de gagner des très grandes villes, seuls ou en menant les listes. Les Verts, qui sont depuis des années le parti préféré des Français, vont également être celui pour lequel ces Français et Françaises vont peut-être se mettre à voter si l’épidémie n’a pas raison du deuxième tour des municipales d’ici là. Il était temps.
Peut-être donc que nous allons également arriver au moment où il deviendra possible d’avoir plusieurs partis écologistes, de la même façon qu’il y a plusieurs partis productivistes. Jusqu’à présent, l’écologie politique était encore une force trop faible pour se le permettre. Elle l’est encore trop pour que ces différents partis se mettent en concurrence forte, mais ils peuvent former une vraie confédération, une union des partis écologistes qui aurait plus de sens qu’une sorte de front illisible et forcément très temporaire avec LFI, le PS et les satellites Générations, Place publique, nouvelle donne etc…
Alors certes, il existe déjà EELV et quelques autres, mais ces quelques autres sont soit des cache-sexes pour des productivistes qui ont besoin de financement électoral ou d’un logo opportun pour des élections, soit des gens qui ont quitté EELV parce qu’ils n’avaient pas réussi à être calife à la place du calife. (A ce sujet, vous avez remarqué d’ailleurs à quel point EELV se porte mieux depuis que les furieux sont partis en 2015 en essayant de couler le navire, pour aller créer à la place la burlesque UDE, plus divisée que n’importe quelle sous-cellule trotskiste, lesquelles avaient au moins des militants). Bref, la diversité des partis écologistes en France n’existe quasiment pas sur le fond.
Vers trois grands pôles politiques
Je partage volontiers cette analyse de l’évolution des positionnement politiques vers trois grands pôles : un pôle libéral technocratique, un pôle identitaire nationaliste et un pôle écologiste.
Le pôle nationaliste, c’est celui qui est inspiré par la peur et l’incompréhension, qui se tourne vers le repli et le passé fantasmé, un pôle pour qui la question du changement climatique est beaucoup trop compliquée. En la réduisant à la question climatique, elle est ramenée à une menace du monde moderne à laquelle il faudrait répondre en refaisant comme faisaient nos grands-pères parce que c’est toujours mieux avant, c’est le « bon sens ».
Le pôle libéral est celui qui analyse le monde par le biais financier, une analyse purement froide et comptable (par exemple, en expliquant que le congés de deuil pour la parte d’un enfant, c’est faire peser aux entreprises une charge trop lourde), qui considère que le progrès humain passe exclusivement par notre capacité à consommer, que par conséquent, la richesse d’un pays se mesure à la taille de son PIB, qui veut bien accueillir des réfugiés tant que ça ne lui coûte pas trop cher, voire quand cela peut faire réduire le coût de la main d’œuvre, qui considère que les cultures locales sont plutôt des entraves au bon fonctionnement du marché … En matière de changement climatique, c’est le pôle qui veut accumuler, parce qu’il n’a pas le choix, les mesures sans jamais perdre de vue le profit éventuel (la fameuse croissance verte) mais une accumulation de mesure ne fait pas une politique globale. C’est aujourd’hui un pôle qui regroupe des ruines du PS aux Républicains, en passant, bien sûr, par LREM.
Un pôle écologiste, c’est celui qui met en avant l’harmonie avec nos environnements naturels et humains, qui établit le progrès sur la qualité de vie et non pas sur le profit financier et la consommation, qui fait confiance aux initiatives locales et aux individus et non pas aux grandes planifications coercitives, qui ne veut pas faire lutter des groupes sociaux les uns contre les autres mais faire gagner tout le monde, qui, parce qu’il célèbre la biodiversité, la richesse individuelle, défend la dignité de chaque personne, de chaque minorité…
On confond trop souvent protection de l’environnement et écologie. Tout le monde peut prendre des mesures visant à lutter contre le changement climatique ou l’effondrement de la biodiversité, mais les écologistes ne protègent pas l’environnement parce qu’il le faut, mais parce qu’ils l’aiment ! Le docteur Schweitzer qui théorise le respect de la vie dans son dispensaire de Lambaréné est profondément écologiste et il ne connaît pourtant pas les changements climatiques. Il n’y a pas besoin des changements climatiques existent pour être écologiste. Quand nous aurons trouvé une énergie abordable, propre et inépuisable, nous aurons toujours besoin d’écologie.
Évidemment, tout cela est schématique et réducteur. Malgré tout, on constate quand même que les partis qui n’arrivent pas à se positionner clairement dans un de ces axes sont ceux qui ont le plus de difficultés à se stabiliser, ceux qui rencontrent le plus de difficultés. Pour n’avoir pas su devenir un parti écologiste, le PS est mort car LREM et LR sont plus légitimes et plus forts pour accompagner la soumission à l’économie de marché. Idem pour celles et ceux qui se sentent obligés de rajouter « et social » à chaque fois qu’ils disent qu’ils font de l’écologie. Comme si une politique écologiste n’était pas, par essence, protectrice des plus faibles, des individus, avant de protéger les profits. Cet ajout systématique « écologique et social » montre surtout qu’on n’ose pas encore abandonner le vieux productivisme auquel on essaye de faire coller des mesures en faveur de la protection de l’environnement (laquelle peut en effet, être parfaitement dans l’injustice sociale)
Pour une biodiversité de l’offre politique écologiste
Il est évidemment tout à fait possible d’avoir plusieurs partis, plusieurs nuances au sein d’un même pôle. La faiblesse de l’écologie n’a pas permis jusqu’à présent d’avoir plusieurs partis sérieux et idéologiquement complémentaires et ça, c’est une vraie faiblesse.
Les 40 ans d’histoire de l’écologie politique ont forgé un corpus idéologique, des habitudes, des combats historiques. L’une des plus grandes difficultés humaines est d’arriver à penser contre soi-même et à reconnaitre qu’on a pu se tromper. Personne n’est épargné. Les écologistes ont eu globalement raison avant tout le monde, et il n’est pas évident de reconnaître que le mépris qu’on a pu afficher pendant des années à leur endroit était une erreur. Ainsi, leurs erreurs actuelles, des divergences plus ou moins secondaires, des courants franchement problématiques, peuvent servir d’excuses pour ne pas voter pour eux.
L’exemple le plus symptomatique étant celui des anti-vaccins et autres courants ésotéro-chelou vendeurs de pierres magiques, voire les complotistes dont on retrouve encore pas mal de représentants chez EELV. Nous connaissons tous et toutes des gens qui nous ont dit un jour « je ne peux pas voter EELV tant qu’il y a Michèle Rivasi chez eux ». J’ai personnellement beaucoup de mal à leur donner tort d’ailleurs. Ainsi des personnes plus récemment venues à l’écologie, ne voulant pas d’un monde régi par le PIB, ne savent pas pour qui voter, refusent de voter EELV avec des arguments tout à fait recevables, et se retrouvent donc, par dépit, à voter entre LREM et LFI en fonction d’autres affinités.
En d’autres termes, l’offre politique écologiste est largement inférieure à la demande. Cela signifie aussi que les écolos ne peuvent actuellement faire d’alliances qu’avec des partis productivistes, brouillant le message, passant pour des opportunistes. C’est ma conviction depuis des années : avoir fait irrégulièrement des alliances selon le sens du vent avec le PS, vouloir être une force d’appoint qui changerait les choses de l’intérieur, a fait perdre au moins 10 ans au développement de l’écologie politique.
Les écologistes vont vraisemblablement faire un résultat historique dans quelques jours pour les municipales mais on sera encore loin du compte. Or nous avons besoin de gagner bien plus largement, et seuls. D’ici 2022, nous allons voter pour les départementales, les régionales, la présidentielle puis les législatives. Combien de régions vertes dans un an ? La seule question qui devrait nous animer, c’est de savoir comment faire venir sur un vote écologiste, les électeurs qui nous apprécient, qui se sentent proches de l’écologie, mais qui jamais ne voteront pour EELV. Et ils ne sont pas peu. Pour cela il faut créer une vraie coalition de partis écologistes, non pas concurrentiels mais en coopération, qui se retrouvent sur ce qui fonde un parti écolo mais avec des options politiques différentes.
L’inévitable question du nucléaire et de la transition énergétique
Cette option, elle se trouve à mon avis principalement dans la nature et l’organisation de la transition énergétique et dans le rapport à ce combat identitaire historique des écologistes : la question du nucléaire.
La lutte contre les changements climatiques n’est pas la justification de l’écologie. Par contre, l’écologie est la seule à même d’y répondre et aujourd’hui, l’urgence climatique est maximale.
Le nucléaire est dangereux, centralisateur, produit des déchets qu’on va léguer pour des millénaires à nos descendantes et descendants, etc… J’aurais beaucoup aimé qu’on soit capable de se passer du nucléaire sauf qu’il est trop tard. Il est trop tard à cause du néant des politiques climatiques depuis des décennies, ces politiques menées par ceux-là mêmes qui déclaraient « la maison brûle et nous regardons ailleurs » tout en ne faisant rien. On aurait peut-être pu s’en passer en s’y mettant sérieusement il y a 40 ans, mais on ne peut plus le faire aujourd’hui. Être « zéro-net émissions » en 2050 est un objectif indispensable selon le GIEC. Comment le faire en France en fermant le nucléaire à court terme alors que cet objectif suppose d’augmenter massivement la part de l’électricité dans la consommation d’énergie (en particulier pour le transport) ?
Le nucléaire n’est bien sûr pas la solution miracle mais il nous reste trop peu de temps. Les trois axes fondamentaux restent la diminution de la consommation d’énergie, l’efficacité énergétique, et le développement des renouvelables. Il n’empêche que ces trois points avancent beaucoup trop lentement alors qu’il faudrait immédiatement fermer toutes les centrales fonctionnant avec une énergie carbone. La sortie du nucléaire doit rester un objectif mais face à l’urgence climatique, ce serait un contre-sens absolu.
Le mouvement anti-nucléaire étant inexistant en Chine, c’est là-bas que se développe le nucléaire nouvelle génération. Franchement, après un monde tributaire des pétromonarchies du Golfe, vous avez vraiment envie de dérouler le tapis rouge à la dictature chinoise pour qu’elle contrôle l’énergie mondiale ? Cette dictature qui a réussi à effacer Tien An Men de l’histoire, qui élimine des peuples entiers, qui est déjà en train de ré-écrire l’histoire pour nous expliquer sans vergogne que le coronavirus ne vient pas de Chine.
Le mouvement anti-nucléaire occidental s’est développé conjointement à celui de l’écologie. Les deux sont historiquement liés parce que le nucléaire est d’abord né dans la guerre, que nucléaire civil et militaire ont longtemps été parfaitement imbriqués (et le sont encore souvent), parce que pendant des décennies, nous avons vécu avec la menace imminente et très concrète que les deux méga puissances jouent à la destruction de l’humanité avec leurs grosses bombinettes, parce que la question des déchets est un vrai cauchemar parfaitement en contradiction avec les principes mêmes de l’écologie (et c’est bien pour ça que je pense que la sortie du nucléaire doit pouvoir rester un souhait à terme). Mais nous ne sommes 40 ou 50 ans plus tard, les jeunes générations qui marchent pour le climat n’ont pas connu l’angoisse de la guerre nucléaire, nous avons perdu des décennies pour le climat.
Savoir penser contre soi-même, reconnaître qu’on a pu se tromper disais-je. C’est bien tout le problème. Comment accepter qu’un combat qui a été structurant, formateur, pendant des décennies, est à mettre de côté ? Qu’il a pu être juste à une époque mais qu’on se fourvoie en le maintenant ?
Bien entendu, tout cela ne répond d’ailleurs pas à la question des transports, ni à l’effondrement de la biodiversité. Tout cela ne nous permet pas de savoir comment stocker du carbone (une autre priorité qui semble totalement en dehors des radars) ou limiter les déchets en tous genres. Tout cela ne nous explique pas comment améliorer sérieusement la recherche et le développement des énergies renouvelables sans passer par les gadgets catastrophiques qu’adore le pôle « techno libéral » comme la fameuse « route solaire ». Le nucléaire n’est pas non plus la réponse à la protection de la dignité des individus et donc des minorités qui par principe sont les plus menacées, ou la protection de la vie de façon générale. Tout cela ne nous explique pas comment on fait évoluer notre rapport au travail et à la formation tout au long de la vie, ou notre rapport au pouvoir sur les autres, sur le vivant, sur les faibles… Pour tout cela, il y a des politiques écologistes à mener sur lesquelles des gens issus d’un parti pro nucléaire et des gens issus d’un parti écolo classique comme EELV peuvent et doivent tout à fait coopérer.
Le plus grand obstacle à surmonter aujourd’hui, c’est la haine réciproque dingue qui peut exister entre les deux mondes. Lire que EELV n’en a rien à faire du climat parce que c’est un parti anti-nucléaire est d’une bêtise sans nom. Expliquer que les pro-nucléaires sont payés par des lobbys ne vaut pas mieux. J’ai surtout l’impression d’un combat égotique de vieux mâles qui ne voudront jamais reconnaître qu’ils ont eu tort à une époque ou une autre, pour qui il est plus important de vaincre l’autre que d’obtenir le bien commun. Mais c’est mon côté inexorablement optimiste : je ne désespère pas de voir tous ces gens autour d’une même table un jour. Voire même dans des mêmes listes pour les régionales 2021 (pour lesquelles d’ailleurs, la question du nucléaire ne sera que très secondaire).
Bon, on le créé ce nouveau parti écolo ?