L’euthanasie ne peut pas être une perspective écologiste

Et arrêtez de vous cacher derrière le mythe de la liberté de choix, vous savez très bien que dans une société de compétition ultra-libérale validiste, cette liberté n’existe pas

En politique, les sujets dits « sociétaux » sont toujours plus délicats à aborder que les sujets plus purement techniques. Pourtant, dans tous les cas, il s’agit d’une vision du collectif. C’est la définition même de « politique ». Il n’y a pas de sujet qui ne concerne pas tout le monde (nb : ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas des personnes plus directement concernées)

La mort est effrayante. C’est le grand trauma. On ne peut pas l’apprivoiser. Elle est pourtant de moins en moins vue comme l’aboutissement inévitable de la vie mais de plus en plus comme un échec de la médecine. Parler de la mort dans des débats de société qui doivent aboutir à une loi, forcément, à côté, discuter de la place des SUV en ville avec un électeur du RN ou de Macron, ça ressemble à des vacances.

C’est le genre de sujet où les disqualifications faciles arrivent rapidement. « Tu es réac », « tu es eugéniste », « tu es catho » … ça permet d’éviter de parler de fond. Vous noterez qu’on ne reproche jamais à quelqu’un de faire du rugby par exemple pour l’empêcher de parler de fin de vie, alors que franchement, au regard des évolutions du sport que j’ai pratiqué de longues années, on pourrait se dire que ça vous prépare sans le dire à la fin de vie. Balayer d’un geste de la main la parole des militant·e·s handi, des travailleuses et travailleurs sociaux, des professionnel·le·s des soins palliatifs… en disant « les opposants sont des cathos manif pour tous » est surtout le signe d’une grande pauvreté intellectuelle

Il ne suffit pas de répéter que l’euthanasie serait un « progrès », que ses opposants ne sont que des bigots égoïstes, pour que ça devienne vrai. Je pense bien au contraire, et je suis loin d’être le seul, que l’euthanasie, est un projet profondément lié au libéralisme économique, un projet profondément validiste, un projet très très à droite.

Quand on porte une vision écologiste, c’est quoi le progrès ? Le progrès, c’est de vivre en harmonie avec tout ce qui nous entoure. Le progrès, c’est de vivre mieux et sûrement pas de renoncer à améliorer la vie quotidienne, sûrement de renoncer à la dignité de la vie. Le progrès, c’est quand le collectif dit à « nous ferons tout pour que tu trouves ta place », pas quand il dit « oui, par contre, toi, c’est plus possible, tu es dispensable ». L’euthanasie, c’est justement la capitulation. Pas la capitulation face à la mort, mais face à l’amélioration des conditions de vie. L’euthanasie, c’est l’antithèse du progrès !

Dans une période où la politique globale en matière de médecine, comme dans tous les domaines, c’est le productivisme. Un monde où tout n’est que chiffre d’affaires et marchandise. L’euthanasie rentre précisément dans ce mode de pensée : à quel moment une vie devient-elle « rentable » ou pas ? Nous nous apprêtons à inscrire dans la loi que certaines vies valent plus que d’autres, que certaines ne méritent pas d’être protégées. Sommes-nous bien en train de réaliser ce que ça signifie ?

Dans une perspective écologiste, toute vie a de la valeur et doit être protégée. C’est le principe du « respect de la vie » du docteur Schweitzer, un des précurseurs de l’écologie : il faut améliorer la vie de tous les êtres vivants, animaux, humains ou végétaux. Il n’y a pas de mauvaise herbe, pas d’espèce envahissante, pas de nuisible, pas d’espèce rentable. Il n’y a pas d’êtres vivants inutiles.

C’est sûr que pour faire faire des économies à la santé, il est plus rentable de ne pas soigner les personnes en fin de vie. L’euthanasie arrange beaucoup celles et ceux qui veulent continuer à pouvoir profiter de tous les avantages de la médecine sans avoir à partager le frais avec les pauvres, les enfants, les vieux, les malades, les handicapé·e·s.

N’oublions pas que se développe un discours consistant à dire que le problème du climat, c’est que nous serions trop sur terre et que si les pauvres voulaient bien arrêter de faire les chauds lapins, ça irait mieux. C’est évidemment complètement faux : nous sommes trop à sur-consommer. Il y a trop de riches qui mènent la prédation et s’accaparent les ressources. Les partisans de ce discours veulent surtout éliminer les pauvres pour pouvoir ne rien changer à leur mode de vie. C’est le discours de celles et ceux qui veulent continuer à avoir tous les avantages du consumérisme productiviste, sans avoir à partager la planète avec les pauvres, les enfants, les personnes âgées, les malades, les handicapé·e·s…

Les militants et militantes anti-validistes ne sont pas franchement ce qu’on appelle des bigot·e·s réactionnaires. Le validisme, rappelons-le, c’est l’oppression vécue quotidiennement par les personnes en situation de handicap, avec toutes les limites que porte cette notion même de handicap. Étrangement (non, rien d’étrange évidemment), ces activistes sont totalement silencié·e·s quand il s’agit du sujet de l’euthanasie.

Comme le dit sans détour Elisa Rojas dans un passionnant entretien chez Politis, « Notre mort est toujours considérée comme libératrice par cette société ». Oui, notre société ne veut pas voir d’handicapé·e·s. En 2011, Olivier Dussopt alors député socialiste s’était tranquillement étonné à la tribune de l’Assemblée Nationale qu’il restait encore 4% des grossesses pour lesquelles la trisomie 21 est repérée qui ne se terminaient pas par une interruption de grossesse. Mais oui enfin, une personne trisomique, c’est une personne ratée. Il est temps d’interrompre la grossesse et d’en refaire un autre. Ces propos hallucinants n’ont fait bouger les sourcils de quasiment personne (à part hélas, ceux de l’extrême droite catholique intégriste). Tout au plus, certains ont considéré que ces propos avaient dépassé sa pensée. C’est sans doute pire, c’est simplement reconnaître que l’eugénisme est tellement ancré dans les inconscients qu’on ne s’en rend même plus compte.

Que les choses soient claires : jamais, jamais, je ne jetterais la pierre à quiconque faisant le choix de l’IVG suite une suspicion de trisomie. La pierre, les pierres, les boulets, c’est à la société que j’ai envie de les lancer. C’est à cette culture qui fait qu’on considère que les personnes trisomiques sont forcément malheureuses, qu’elles gênent, qu’on en veut bien pour des films feel-good mais surtout pas plus. A cette société qui fait tout pour laisser les aidants et aidantes se débrouiller seules, les faisant culpabiliser. Dans ce contexte, la perspective d’élever une enfant trisomique est effectivement terrifiant. Cette société qui diffuse sur une chaine publique un dimanche soir, un téléfilm valorisant un infanticide qui serait justifié parce que l’enfant était autiste. Combien de fois m’a-t-on demandé, devant mon frère lui-même trisomique, s’il n’était pas trop malheureux ?

Le mythe du libre-choix.

Vous vous souvenez peut-être du débat incroyable du référendum sur le TCE (traité constitutionnel européen) en 2005. Parmi les débats acharnés à gauche, il y avait cette référence dans les premiers articles de la fameuse « concurrence libre et non faussée ». Toute la gauche sait très bien que c’est un mythe. Le débat portait donc sur l’opportunité ou pas de la citer en préambule. Était-ce acceptable ? Dans une société capitaliste où les riches et les puissants ont accès à tous les leviers du pouvoir, le « marché libre » est une blague. Personne ne remettait ça en doute.

Dans un autre domaine, elles sont nombreuses et nécessaires les campagnes de diverses organisations militantes pour ré-affirmer notre liberté à disposer de notre corps, pour s’affranchir des diktats de beauté imposés par la publicité, par les marques, par la télévision, bref, par tous les imaginaires capitalistes qui veulent nous obliger à avoir un « summer body », à s’épiler, à être ceci ou cela. L’AMGE (Association Mondiale des Guides et Eclaireuses) qui regroupe les mouvements de scoutisme féminin à travers le monde a un programme éducatif passionnant appelé « Free being me » pour aider les jeunes filles et jeunes femmes à travers le monde à s’émanciper de ces diktats.

Comment, vous qui êtes si conscients de la pression sociale, de la pression marchande, qui pèse sur chacun et chacune d’entre nous, vous qui savez que la fameuse « main invisible du marché » est un mensonge qui ne sert que les puissants, comment pouvez-vous sans trembler, prétendre que le texte de loi sera fondé sur la liberté de choix et que donc, tout ira bien dans le meilleur des mondes ? Sérieusement ??

Lorsqu’au quotidien on entrave légalement notre accès au logement, aux transports, aux études, au travail, aux loisirs, à la vie de famille et même aux soins les plus élémentaires, qui ne connaîtrait pas des « souffrances psychologiques réfractaires », ce critère avancé pour accéder à l’aide à mourir ? L’État nous met la tête sous l’eau, puis nous propose de faire le « choix libre et éclairé de mourir » et ose le cynisme d’appeler cela une « loi de fraternité ».

Céline Extenso, dans Politis

La société passe son temps à vous dire que vous êtes triste puisque vous êtes handicapés, que vos soins coutent cher puisque vous êtes vieux, que vous prenez de la place puisqu’il n’y a plus assez de lits … Vous êtes de trop, tenez voici un crayon pour signer votre mort, mais bien sûr, c’est vous qui décidez hein. Quelle abjecte hypocrisie !!!

Comment s’aveugler en ignorant volontairement les dérives hallucinantes en Belgique ou au Canada : euthanasie des pauvres et des SDF, incitations faites aux malades, euthanasie acceptée pour des causes bénignes… Tous les prétendus garde-fous sautent.

Oui, c’est vrai, on meurt mal en France. L’isolement social est en pleine explosion, la maltraitance se généralise dans un certain nombre d’EHPAD privés, plus des plus des 2/3 des Français n’ont pas accès aux soins palliatifs alors même que c’est la loi ! (et on remercie les parlementaires d’avoir imposé au gouvernement l’inscription dans le projet de loi que l’accès aux soins palliatifs soit un droit opposable, même si on se doute que c’est surtout pour se donner bonne conscience) On meurt mal mais justement, l’urgence c’est de défendre le droit à vivre dans la dignité, pas de mourir. Quand les personnes atteintes de maladies graves ou incurables ont accès aux soins palliatifs (ce qui devrait normalement être la loi), sont accompagnés, la demande de mourir s’effondre. Ce n’est pas de mourir que demandent les malades, c’est de ne plus souffrir.

Je laisserai la conclusion au docteur Olivier Maillé, responsable de l’unité de soins palliatifs du CHU de Montpellier, interviewé dans la Gazette de Montpellier :

« On a besoin que la société française apprivoise la mort autrement. Tant que la société mettra les personnes âgées dans des lieux à part, des personnes handicapées dans des lieux à part, qu’on sortira les malades de chez eux parce que la médecine doit faire des miracles à l’hôpital, on n’y arrivera pas.  La réaction doit venir des citoyens. Les soins palliatifs ne sont pas la priorité des professionnels. Une loi autorisant la mort choisie et provoquée, ne sera pas un remède au mal-mourir en France. Elle ne nous guérira pas non plus de la douleur d’exister, qui ne peut s’apaiser qu’en la partageant »

Autre article passionnant et complet à lire : L’euthanasie n’est pas de gauche – Pourquoi j’ai changé d’avis sur l’euthanasie et le suicide assisté

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