Le jour où je suis rentré dans le rang

Régulièrement, facebook fait ressortir parmi mes photos celle qui a reçu le plus d’interactions : une photo splendide qui a servi pour mon affiche de campagne des législatives en 2002, alors que j’étais tout jeune militant. Ce qui provoque l’hilarité et l’avalanche de commentaires, c’est ma chevelure. Oui, j’ai eu une toison digne de Samson.

Cette toison provoquait une touffe frisée énorme, je faisais une espèce de tresse mal foutue qui partait du haut du crâne, je dépensais beaucoup trop d’argent en shampoing et après-shampoing, j’avais chaud … et même si la beauté est très subjective, en tout honnêteté, ce n’était pas ravissant. Pourtant, plus j’y pense, plus je réalise que le jour où j’ai coupé ces cheveux fut aussi un jour funeste. Ce fut le jour de ma capitulation. Le jour où j’ai cédé face à la pression.

Ces cheveux longs, ce n’était pas juste une erreur esthétique, c’était une affirmation. C’était mon ilot de résistance à la conformité. J’affirmais que j’avais le droit d’avoir envie d’être autre chose que ce à quoi l’ambiance versaillaise, le monde capitaliste me destinaient. J’affirmais que je pouvais avoir le droit de porter des chemises à fleurs, de me coudre mes pantalons, de porter des franges et des médaillons, des bandeaux dans les cheveux (car, oui, j’avais bien tout ça). J’affirmais que j’avais le droit de chercher à me rendre beau (même si c’était raté), à être moi-même.

En me coupant les cheveux, j’y ai renoncé. J’ai baissé les bras et j’ai accepté de rentrer dans le rang, de bosser dans des filières sérieuses, de m’habiller proprement et tristement avec des jeans, des pulls tristes et des chemises. J’ai renoncé à l’idée de porter des bijoux, j’ai arrêté la couture et j’ai accepté de rentrer dans le moule social et professionnel. J’ai renoncé à apprendre à me faire beau (oui, ce truc réservé aux femmes bien sûr). Tout cela a été concomitant. Le feu en moi a été maitrisé, transformé en triste petite veilleuse. Oui, il y a de quoi dire que ce fut un jour funeste.

Je ne regrette pas ma coiffure hétéroclite, je regrette ce que je disais et ce que je vivais, je regrette le feu qui brûlait en moi, je regrette ma liberté. Heureusement, il me reste la veilleuse qui peut tout faire repartir. Pendant mon mandat de conseiller municipal, je m’étais engagé à aller en jupe au conseil. Je ne l’ai jamais finalement jamais fait (on sait ce que vaut une promesse de politicien), mais l’envie est toujours restée.

Refusez l’uniformité ! Résistez ! Même si vous êtes moches et ridicules, soyez vous-mêmes ! De toute façon, les uniformes qui nous sont imposés sont tout bien plus ridicules. Tout projet politique qui comprend l’uniformisation est dangereux. Au contraire s’approprier et personnaliser les vêtements, couleurs, fanfreluches d’une communauté que vous décidez librement de rejoindre, c’est une façon d’affirmer son identité en lien avec d’autres. Vous ne disparaissez plus dans un corps indistinct, vous existez en harmonie avec d’autres.

Résistez aux modes, résistez aux injonctions. Le monde occidental a perdu ses couleurs. Les vêtements, les maisons, les voitures, les vélos : tout est devenu gris, blanc ou noir. Ne laissez pas la morosité prendre votre contrôle.

Vous vous rendez compte que sur cette photo mythique, Joan Baez et Bob Dylan ne posent pas du tout devant une affiche contestataire mais devant une pub pour du gin (Joan Baez cache la bouteille) Rien n’est pure dans ce monde, quelle tristesse

[ Update : méfiez-vous, j’ai enfin commandé ma jupe ! Vous n’êtes pas prêt⸱e⸱s ]

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