Le révélateur à cons

On peut dire plein de choses sur cette fameuse polémique suite à la proposition d’Eva Joly de créer deux jours fériés pour Kippour et l’Aïd-el-Kébir. Jacques Boutault a déjà très bien dit l’essentiel. On peut enrager que nous ne soyons pas capable d’anticiper pour que la seule chose qui ressorte de la nuit de l’égalité, ce soit deux phrases au sein d’une intervention d’une demi-heure, mettant au premier plan un sujet totalement secondaire.

J’ai lu également qu’accorder un jour férié pour l’Aïd-el-Kébir, ce serait soutenir l’abatage cruel des moutons. C’est occulter le fait qu’il est possible d’avoir un abatage rituel sans souffrance pour l’animal et c’est donc faire une généralisation qu’on ferait mieux de laisser à Brigitte Bardot.

J’ai lu que c’était remettre en cause la laïcité. Ce débat est immense. On peut rêver d’une France parfaitement laïque, où aucun jour férié n’aurait de lien avec les convictions religieuses. On peut rêver de la perfection, on peut aussi s’accommoder des réalités pour chercher à les améliorer et s’il y a bien une chose que la politique m’a apprise, c’est qu’on n’aboutit à rien si on va frontalement au combat, refusant le consensus.

Je ne comptais pas donner plus d’importance à cette question jusqu’à ce que je tombe sur le courrier des lecteurs de l’Est Républicain de lundi 16. Un certain lecteur se plaignait de la médiocrité de la campagne présidentielle (ce en quoi on peut difficilement lui donner tort) et terminait par cette phrase incroyable : « Cerise sur le gâteau, Eva Joly veut accorder un jour férié aux étrangers qui résidents en France. Les Français vivant à l’étranger auraient-ils le droit d’avoir des jours fériés supplémentaires ? »

Nous passerons sur la triste suffisance du type qui considère qu’une loi votée en France doit forcément être appliquée par le reste du monde. Voilà bien pourquoi je suis plutôt favorable à cette proposition : les 7 à 8 millions de Français se considérant juifs ou musulmans, sont donc des étrangers ? Je me demande ce qu’en dirait Philippe Grenier, premier député musulman de France, dont j’ai la prétention de briguer la succession, plus d’un siècle après lui.

Malheureusement, la suite m’a montré que cette interprétation n’est pas celle d’un abruti isolé. J’ai eu droit aux âneries concernant les « racines chrétiennes » de la France. Un arbre a plusieurs racines. Les premières racines de la France, c’est quoi ? Les Gaulois, les sans-culottes, les barbares ? Pas toujours très chrétien tout cela. Et les Français qui sont partis s’exiler il y a 3 ou 5 siècles, ils comptent dans quelles racines ? Celles de la France ou celle de l’Argentine, du Québec ou de Louisiane ?
Plus un arbre grandit, plus il multiplie ses racines. La France, c’est donc une multitude de racines qui s’ajoutent. Ceux qui s’accrochent aux « racines chrétiennes » sont donc ceux qui souhaitent l’atrophie, qui souhaite l’arrêt de la croissance. Il ne s’agit pas de renier un passé mais de prendre en compte un présent.

Les millions des citoyens français de confession juive ou musulmane sont considérés comme des étrangers. Accorder ces jours fériés, c’est le meilleur moyen de faire en sorte que toute la population française s’approprie ces fêtes, c’est une façon de rapprocher les citoyens, à condition bien entendu qu’on défende les fêtes à caractère laïc.

L’un des nombreux avantages de la candidature d’Éva Joly, c’est que c’est un excellent révélateur à cons : les racistes sortent du bois, se laissent aller, sans doute décomplexés de pouvoir exercer leur xénophobie contre une Française d’origine immigrée, mais née en Europe. Si notre candidate avait été noire, arabe, turque, je n’ose imaginer ce qu’elle aurait subi.